Été 2023 : Au creux d’un jour d’été, Abbaye de Léhon, Dinan.


Pendant trois mois, cinq artistes plasticiens et plasticiennes investissent la petite gloriette de l’abbaye de Léhon avec une installation-environnement plongant le public dans un concentré estival. Les œuvres, pensées pour le bâtiment, font appel aux sens des visiteurs et visiteuses. Chacune relève d’une sensation, d’un souvenir de cette saison expérimentée par les artistes et rejouée via différents médiums recueillis, transformés, cuits ou oubliés. 

Posée sur le sol de la gloriette, la Flaque est une invitation à laisser la trace de son passage. À travers cette pièce participative sur laquelle le public peut marcher pieds-nus, l’artiste Cassandre Kuczyk capture le temps et le transforme en une matière concrète. L’argile humide installée en début d’exposition devient le témoin discret et silencieux des mouvements humains et environnementaux qui traversent la Gloriette. D’abord molle et malléable, puis dure, friable et poussiéreuse, cette installation sensorielle nous incite à porter une attention particulière à nos corps et déplacements dans l’espace. 

En relevant le regard de quelques centimètres, la proposition délicate de Laura Rossi dévoile des coquilles d’œufs limées. Sans aucune intervention humaine, la membrane intérieure des œufs sèche et se tend délicatement aux parois de la coquille. Évoquant le coquillage que l’on porte à l’oreille pour entendre la mer mais également le rebut de cuisine, cette collection d’emblée si simple nous invite à faire attention aux propriétés sensibles des matériaux issus du vivant. Disposée à hauteur de main, cette collection n’est cependant pas faite pour être manipulée mais pour être regardée de près. Par son geste, Laura Rossi évoque ainsi une intériorité sensible présente partout, seulement si nous prenons le temps de l’observer. 

Alma Oskouei profite de  l’environnement humide de la gloriette pour suspendre deux sacs de jute en pleine gestation. Enfouies dans le terreau, des pommes de terre, des  graines de lin, de cresson et d’autres essences vivent un cycle de vie accéléré, contraint, limité. Les oyas, réserves d’eau composées de céramiques poreuses et insérées dans les sacs, alimentent ces plantes qui naissent dans un environnement favorable mais qui se dirigent, petit à petit, vers une fin attendue, sèche. Pendant vivant de la Flaque, les feuilles, parties visibles des plantes, nous donnent à voir le temps qui passe selon deux temporalités : un premier sac commence son cycle de vie le jour de l’ouverture de l’exposition, tandis que le deuxième l’a commencé bien plus tôt. 

Dans une proposition complémentaire, Mathilde Vaillant et Armand Litou habillent la charpente de la gloriette d’une guirlande inaccessible, rejouant ainsi la pratique ancestrale des bouquets de fleurs séchées. Si l’on a toutes et tous en souvenir la présence de ces compositions dans les décorations intérieures familiales, Armand Litou nous propose d’assister à l’étape d’avant. Ici, l’expérience esthétique existe sur le plan visuel mais surtout dans la dimension olfactive de la pièce ; elle articule projection et souvenir. Odeur de pré fauché à l’issue incertaine, ces fleurs invitent à lever le nez et à éprouver l’environnement en action. 

Enfin, Mathilde Vaillant a façonné une collection de pièces en porcelaine spécifiquement pour la charpente de la Gloriette. Partant de la forme en spirale des isolants de piquets de clôtures agricoles, elle détourne cet élément en plastique, produit industriellement, en une multitude de courbes entrelacées. Si la hauteur de leur emplacement rend leur présence discrète dans l’espace, la porcelaine blanche, émaillée, précieuse, contraste avec leur dimension utilitaire, soulignée à nouveau par le fil de fer rouillé qui parcourt la charpente. Convaincue de la richesse créée quand la création plastique contemporaine s’acoquine avec des objets utilitaires, l’artiste présente cette série à cheval entre clôture et fil à linge, entre pâture et intérieur, entre art et agriculture. 

Mathilde Vaillant